« On est toujours surpris par la diversité des chemins qui ont conduit à la poterie-céramique, maintes rencontres engendrant souvent d’irrésistibles passions permettant de franchir tant et tant d’obstacles. Andoche Praudel est certainement du nombre de ces potiers qui ont ignoré les écoles de céramique au bénéfice d’une errance féconde. Corrézien affirmé, peintre de formation et d’expérience, il se retrouve au Mexique où il sympathise avec un potier japonais, lequel lui enseigne les rudiments et surtout le goût profond de la céramique, il jette alors ses pinceaux par-dessus les moulins et gagne le Japon… Il se perfectionne, épouse une Japonaise, rentre en Corrèze, et potier acharné va passer peu à peu du raku au grès de pleine flamme avec une maîtrise très remarquable : qu’en est-il pour un céramiste artiste occidental de l’inévitable confrontation avec le Japon des potiers où cette forme d’art a retrouvé son statut ancestral et mille variations qui l’ont fait évoluer des absolus médités aux kitschs endiablés ?
Andoche Praudel dit: « Au Japon mon travail est pleinement considéré comme occidental, en Europe l’influence ne trompe personne ! » Les coupes exposées ne doivent rien à la famille Raku, elles ne sont pas austères et si elles jouent de déchirures composées ce n’est pas en hommage au vase d’Iga, fendu, affaissé, idolâtré, connu comme Yabure Bukuro, lequel a scandalisé nos sages jeunesses de potiers. Elles évoquent davantage un travail de peintre qui s’aventure dans l’espace, sculpteur étonné. Formes, couleurs, gestes d’émail ne sont pas sans joie. Par contre la coupe brisée, reconstituée, les collages soulignés en un réseau d’or nous paraît bien plus typiquement japonaise.
Nous sommes dans la problématique de la double acculturation Japon-Occident et Occident-Japon. Andoche Praudel familier du Japon, y séjournant régulièrement, parlant la langue, est bien placé pour vivre cette complémentarité : il est à son tour entré dans le jeu passionnant de ces échanges, c’est une grande satisfaction de constater que les potiers céramistes sont bien engagés dans cette voie de mondialisation culturelle par ailleurs si inquiétante, car on voit chaque jour le mercantilisme détruire par ses commandes en série tout caractère national, ethnique, esthétique ainsi que le goût déjà bien atteint des clients victimes qui prennent pour bon pain ces « world productions » parfaitement désastreuses. L’exception culturelle ne devant pas être une bizarrerie française mais une véritable loi du commerce équitable.
Il n’est pas fortuit que le Japon soit aux potiers euro-américains ce que fut l’Italie de la Renaissance pour les artistes du Nord, non sans une certaine réciprocité. Si certains Japonais la vivent avec quelque incertitude, on a vu lors de l’exposition des potiers japonais au Musée de Sèvres des œuvres aux formes et rythmes décoratifs virtuoses assez décalés, nombreux sont-ils à vivre une contemporanéité exigeante, dépourvue de « standards » conventionnels tant d’Orient que d’Occident.
Parmi nous Haguiko, ou encore Setsuko Nagasawa pour ne citer qu’elles, se rapprochent de l’extraordinaire sculpteur nippo-américain Isamu Noguchi qui a réalisé la plus parfaite synthèse possible, satisfaisant les attentes de chaque culture dans leur aspiration à une création actuelle ne trahissant pas leurs âmes respectives.
Les céramistes sculpteurs japonais bien connus en France, Suharu Fukami et Hayashi Hideyuki sont également situés sur le vif de cette ligne de partage.
Quelque part dans le travail d’Andoche Praudel transparaît néanmoins l’enracinement dans son terroir corrézien, bien qu’on ne saurait dire en quoi exactement dans la grande diversité de ses recherches, de sa démarche déjà longue et riche.
Ici je ne puis que reprendre le beau texte de Florence Brouillard :
« L’œuvre d’Andoche Praudel est une évocation de la vulnérabilité et de la beauté du paysage rural. Ses pièces sont composées de la terre sauvage de Corrèze, mélangée à un grès de Limoges ou pour moitié dans la masse à des cendres de chêne, de châtaignier, de pin, de fougère ou de foin qu’il prépare lui-même. D’autre part le tesson peut être un grès de Limoges recouvert d’un engobe de terre de Corrèze et de cendre. Il tient à ce lien naturel, à cette relation immédiate avec le sol où il vit. Il en retire une « énergie » qui confère à son travail un caractère original, ni japonais, ni français. »
En effet, qu’il travaille à des formes dites contenants, ou à des formes expressives, la notion de germination et de croissance telle quelle se manifeste dans la nature n’est jamais bien loin, dans cette proximité biologique, végétale, minérale suggérée par le Maître Sen No Rikyu mais dont on pourrait hardiment faire remonter les origines aux flammes racines du Moyen Jomon !
La Terre vivante, c’est là le secret des potiers céramistes : l’attachement à leur sol leur permettant de se trouver une unité intérieure au travers des appels incessants des cultures autres ».
Robert Deblander, août 2006, La revue de la céramique et du verre
« Nous avons l’habitude de dire : le présent seul compte et, il est vrai, il est important de savourer le bonheur de l’instant qui passe. Or, la céramique est le produit d’une métamorphose qui remonte à un passé immémorial, renvoyant la terre à ses origines telluriques. A partir de cette constatation, des formes s’imposent, celles de la Sphère et des planètes. Or, cela aussi sera, peut-être, susceptible d’autres changements. Les œuvres de céramique seront, un jour, brisées. Il est important, alors, de voir que l’ordre est celui des fragments et que la beauté́ de ce monde est, elle aussi, éphémère. »
Andoche Praudel