Derrière les murs, c’est un havre.
Aborder à ce port, c’est laisser derrière soi les grains et les tempêtes ordinaires, et même les mots et les phrases. C’est entrer dans un temps dilaté où ne compte que celui du regard, d’abord happé par l’espace entre la longue façade brune et le rectangle herbu toujours ras, planté de sculptures. Ainsi dépouillé ou lavé du quotidien, il est possible de franchir la porte. A parcourir les salles où les œuvres résonnent en soi, ou non, le temps aboli arrive. Le silence épouse la brique cirée, l’éclairage conduit le regard, les œuvres dialoguent entre elles, les pas s’arrêtent, contournent, s’écartent, la main voudrait esquisser une approche, l’œil caresse une surface, tente de comprendre la matière, rêve à partir d’un fragment. Les mots reviendront ensuite, sur place, sur le chemin du retour, par d’autres chemins.
Raconter ainsi le lieu en traduirait une partie seulement, ce serait oublier le duo qui l’a créé et l’anime, devenu quatuor depuis quelques années. Avec leur personnalité complémentaire, tout à la fois discrets et présents à chaque visiteur, les quatre complices apportent la chaleur de l’accueil, la connaissance intime des artistes retenus, le juste dévoilement des techniques employées, l’exigence aiguë de tous les détails, l’art d’inviter la musique et la gastronomie à amplifier les inaugurations. L’utopie du premier jour de Gérard et Sophie Capazza tient de l’abbaye de Thélème, mais ce sont eux qui la tiennent pour nous, visiteurs fidèles ou de passage. Fidèles ? Nulle autre doctrine que le partage d’émotions artistiques cependant, principe où se sont glissés avec enthousiasme Denis et Laura Durand-Capazza que l’aventure passionne avec autant de flamme que leurs aînés.
Parfois, quelque chose de l’enchantement ressenti entre les murs arrive dans une habitation grâce à l’adoption d’une pièce élue par des regards particuliers, pièce alors colorée de son nouveau contexte. L’œuvre aurait-elle trouvé ces regards et achevé son parcours commencé dans l’atelier de l’artiste sans le truchement de sa présence à Nançay ?.
En quittant la galerie avant de retomber dans le temps des horloges, qui ne s’est senti rafraîchi et ressourcé par le côtoiement des œuvres et la bénéfique impression d’ailleurs de ce lieu atypique?
Elisabeth Dousset
extrait du livre « Ensemble depuis 40 ans », Editions Galerie Capazza, 2015
De ces capitaines au long cours, Gérard Capazza n’est pas un des moins fameux. Depuis quarante ans, il a mené son équipage bien au-delà des mondes connus et répertoriés, ne cessant d’explorer ce qui ne l’avait été encore. Sans avoir sans doute reçu les honneurs qu’il eût pourtant mérités, il a écrit l’Histoire, redéfinit la carte du sensible, de l’horizon repoussé les frontières.
Celles et ceux qui ont embarqué à bord de son bâtiment d’art et de paix, à bord de cette Arche singulière riche de tant de trésors, ont sans en avoir toujours eu conscience, participé à une entreprise de préservation du monde, en même temps qu’à une croisière dans l’imaginaire de ce temps. Les récifs assassins, les vents contraires, les soudaines tempêtes, n’auront pas réussi à dévier d’un pouce la route de cette insubmersible volonté.
Dans son sillage, j’entrevois la possibilité d’inventer à mon tour de nouveaux mondes…
Ludovic Duhamel
Directeur de Publication Miroir de l’Art
extrait du livre « Ensemble depuis 40 ans », Editions Galerie Capazza, 2015
Peu de galeries disposent d’un espace aussi propice à la mise en valeur des œuvres que la galerie Capazza. Chaque visite est un voyage d’initiation. On arrive au Grenier de Villâtre par un petit pont qui franchit le Coulonet. Passé la porte, on est accueilli par deux puissantes statues de femmes de Franta et de Fanny Ferré. Plus loin, le bestiaire fantasque de Jacky Coville s’ébat sur la vaste pelouse entre de sobres bâtiments de briques roses. Grenier le bien nommé car c’est bien d’un endroit où l’on entrepose des grains qu’il s’agit, des grains semés dans le terreau de l’imaginaire des visiteurs. Logis médiéval des écuyers du seigneur de La Châtre ? ferme du château au 19ème siècle ? Le lieu garde la trace d’une double origine, noble et paysanne. Chaque salle offre un espace dépouillé où chaque œuvre peut déployer son propre monde, entrer en résonance avec ses voisines ou bien encore faire écho d’une salle à l’autre, sans que jamais l’œil soit gêné par les artéfacts de leur mise en scène.
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Certains soirs, le grenier est le théâtre de « fêtes étranges »1 où - comme dans l’odyssée d’Augustin Meaulnes - un reflet coloré flotte dans les hautes fenêtres, une musique joue quelque part, des ombres glissent sur la pelouse et dans la haute salle brillamment éclairée monte le brouhaha des conversations. Ces soirées de vernissage sont précieuses pour les amateurs. On y rencontre les artistes dans une convivialité propice aux échanges. On peut entendre Goudji raconter son incroyable périple depuis sa Géorgie natale, Antoine Leperlier exposer sa philosophie du temps et rêver sur les états du verre, Christine Fabre expliquer comment elle apprivoise le bronze, Bernard Dejonghe dire sa fascination pour les outils du néolithique et les croûtes de la terre, Felipe Gayo s’enthousiasmer pour les mathématiques et la genèse des formes géométriques…
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La magie de ces soirées tient à la présence rayonnante des œuvres qui produisent comme une vibration dans l’air. Présence décuplée par l’art de la « mise en lumière ». Car la galerie est avant tout un espace de lumière savamment organisé. Le cheminement à travers les salles ménage des passages en demi obscurité pour mieux surprendre par la vive illumination des pièces flottant sur de fragiles tablettes. La mise en lumière est une véritable pédagogie de l’œil, une aide à la lecture, un encouragement à l’exploration.
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Continuité entre les arts : orfèvres, peintres, dessinateurs, photographes, céramistes, sculpteurs, verriers ont tous leur place dans la galerie. Au-delà de la diversité, l’observateur attentif décèle des correspondances, ou plutôt des échos d’une œuvre à l’autre, des structures ou des formes communes d’un artiste à l’autre. La toile « Les dormeurs et un ange au-dessus d’eux » de Michel Madore évoque les dormeurs sculptés de Jeanclos. Des résonances entre la céramique et la photographie sont magnifiées par « Les champs de bataille » d’Andoche Praudel : des photographies d’anciens champs de bataille pacifiés et fragiles, sont exposés avec les « Trophées » torturés explosés, calcinés, comme abandonnés dans l’enfer des combats. Les échos et les liens contribuent à créer un univers onirique qui se prolonge désormais dans les ouvrages où les photographies de Denis Durand rendent justice au travail des artistes. Plus spontanément tournés vers la terre et le verre, nous avons cependant appris à apprécier d’autres arts. À propos de Philibert-Charrin, par exemple, Gérard Capazza a déployé tout son talent pour nous faire découvrir la subtilité de ses constructions, son humour décalé.
En devenant amateur, nous avons admis que la valeur esthétique n’est ni dans l’œuvre, ni dans le regard mais dans la relation que l’œuvre entretient avec celui qui la contemple et l’insère mentalement dans son propre univers. Dans une collection se projette quelque chose du collectionneur. Le choix d’une œuvre est un moment d’intense émotion, entre l’exaltation de la découverte et la trivialité de l’estimation du possible, entre désir et principe de réalité, pendant lequel le dialogue confiant avec Gérard Capazza joue un rôle important. Au sujet de nos artistes favoris, pour lesquels nous avons une attente particulière, le plaisir est de partager une vision de leur travail, de comparer avec les œuvres déjà connues, de remarquer une nouvelle manière… Pour les autres, c’est d’abord l’œil du galeriste qui nous importe et la présentation qui en résulte, présentation qui l’intègre dans un contexte favorable et met en évidence les qualités particulières du travail. Comme après un concert, lorsque les sons vibrent encore dans l’oreille, à la fin de la visite des images flottent devant nos yeux. Il faut bien repartir vers le quotidien, rentrer chez soi en emportant si possible une pépite, un concentré d’émotion, le souvenir d’une rencontre.
Françoise Clerc
Villers, novembre 2014
extrait du livre « Ensemble depuis 40 ans », Editions Galerie Capazza, 2015
1 Cf. Fournier, Alain, (2013, reprise de l’édition de 1913), Le grand Meaulnes, Chapitre 13 : La fête étrange, Paris, Aux Forges de Vulcain. La galerie comporte une petite salle dédiée à Alain Fournier enfant de la région, qui s’est probablement inspiré des bâtiments du Grenier de Villâtre pour le décor de la fête au cours de laquelle Augustin Meaulnes rencontre Yvonne de Galais.