KOLB Jean-Louis, peinture, artiste permanent depuis 1992

Il est un lieu qu’il est encore convenu de considérer comme faisant partie intégrante de la recherche artistique contemporaine même s’il se situe au cœur d’une pratique d’origine désormais très ancienne. Il s’agit de ce périmètre qui se construit à l’intérieur des limites d’un cadre et d’un châssis, de cette fenêtre-miroir que l’on nomme communément tableau et qui s’anime à partir de l’utilisation de pigments et de liants mélangés et fixés sur une toile. Cette activité créatrice s’inscrit dans l’utilisation de tous ces instruments traditionnels de la peinture que nous pouvons également nommer aujourd’hui outils historiques d’expression plastique. Et, en ce lieu de l’art contemporain, tout ce qu’il est encore possible de peindre vient s’ajouter à tout ce qui a déjà été peint, la somme de ce passé et de cet avenir construisant la figure vertigineuse d’un immense tableau auquel finit par manquer toute notion de dimension. La surface de la peinture peinte et à peindre est en effet vertigineuse tant ses limites sont incalculables ; et c’est d’un tel constat que se nourrit la pratique picturale de Jean-Louis Kolb.


Dans cette aventure qui s’est inaugurée au milieu des années quatre-vingt, il y a la réunion de deux forces contradictoires simultanément mises en présence et en action par l’artiste, celle de la spontanéité et celle du contrôle, l’alliance de l’improvisation et du recul qu’exercent le métier, le savoir-faire, la maîtrise.
Une même question récurrente, obsédante, fondamentale a été posée à la peinture par des artistes historiques tels que Jackson Pollock, Francis Bacon, Willem de Kooning. Cette question concerne la présence ou l’absence de la figure en tant que fil conducteur de ce dispositif plastique et piège pour le regard qu’est le tableau. La figure introduit le désir ; elle incarne l’énergie du créateur qui va à la rencontre de celle du spectateur en propulsant ce dernier à l’intérieur de la matière, c’est-à-dire dans la centralité du tableau, là où s’opère la jouissance de l’appréhension d’un tout sensible, vibrant, signifiant. Mais cette catharsis peut également s’avérer en l’absence de toute figure, dans la présence solitaire et palpitante de la matière en tant qu’unique sujet, comme c’est le cas notamment dans les tableaux de Jackson Pollock ou de Mark Rothko.
Kolb a toujours vécu l’aventure picturale comme appréhension d’un champ d’expérimentation et de découverte des latences plastiques enfouies là où les pigments et les liants rencontrent le grain de la toile, du support. Et il poursuit fidèlement aujourd’hui cette aventure expérimentale qui se joue sur le fil de la peau de la peinture.
Tous ses formats sont des carrés d’un mètre par un mètre. Et que ce soit dans ses tableaux où surgissent les visages d’habitants anonymes de la Nouvelle-Calédonie ou bien dans ses plus récentes surfaces multichromes, Kolb continue à donner corps à une expression matiériste ou les pigments font à la fois surgir et disparaître signes et formes dans l’émulsion matiériste qui s’opère sur la toile, au cœur de l’espace de la fenêtre-miroir du tableau.
Jean-Louis Kolb par Giovanni Joppolo


Ses Kanaks et ses Caldoches peints entre 2005 et 2006, tout comme ses carrés multi chromes de 2007, sont réalisés à partir d’un saupoudrage final où le pigment vient bloquer une série d’émulsions de liants et de pigments posés en coulures successives sur la surface de la toile. Ce jeté final de pigment venant se poser sur ce fond frais constitué de coulures fige le processus et donne à ces surfaces carrées leur aspect d’écrans, d’icônes porteuses à la fois de présences et d’absences. Le tableau devient ainsi un écran, à la fois masse et ombre, positif et négatif donnés instantanément, entre corps et trace, entre abstraction et figuration, entre physique et mental. Kolb laisse ainsi ouverte cette question du conflit que j’évoquais auparavant entre présence ou absence de la


figure humaine pour réussir à « embarquer » le regard du spectateur dans la centralité du tableau, c’est-à-dire au coeur de la temporalité de gestation du créateur.


L’artiste choisit tour à tour la présence de la figure ou l’absence de toute représentation du corps. Mais présent ou absent, c’est bien du passage du corps qu’il est question dans ces carrés tendus où l’énergie traverse chaque émulsion, chaque couche, chaque coulure jusqu’à l’image d’une glaciation finale, jusqu’au tableau achevé. À l’heure des images numériques, les carrés de Kolb se veulent des lieux de regard à consommation lente.


Cette peinture se déploie comme un processus de gestation soudain suspendu dans le temps et l’espace, une sorte de glaciation d’un état du corps, une tranche de temporalité et un moment d’espace traversés par l’énergie d’un corps, un lieu complexe où se déploie le processus de gestation d’un individu unique, irremplaçable, inextricable, l’artiste à la fois individu et représentant de tout le genre humain, la peinture devenant ainsi le lieu d’expression idéal et paradigmatique du sentir et du faire de l’humanité tout entière.


Ainsi, l’avancée du sujet humain dans le temps qui lui est donné à vivre se signifie dans cette matérialité débordante et chaotique qu’est la surface peinte. Qu’elles soient figuratives ou abstraites, ces surfaces portent enfouies en elles la pauvreté, la dureté, le silence et la concentration qui émanent du comportement d’un artiste qui continue à penser l’activité artistique comme une ascèse expérimentale, en solitaire, là où, à travers la pratique de la peinture, un homme peut inscrire toute l’énergie qu’il porte en lui et façonner ainsi l’image d’une traversée vertigineuse au sein de la spatialité et de la temporalité d’une existence terrestre. Cette peinture s’inscrit dans la continuité d’une sensibilité plastique où persiste encore et toujours l’urgence de produire un dispositif plastique pauvre et dur contre le corps mou des exercices formalistes et des images à consommation rapide.


Giovanni Joppolo, Nice, 16 novembre 2007

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